Lors de l'université d'été du Shiatsu 2024, Olivier de Stexhe, directeur de la Fédération de Shiatsu Belge (FBS), donnera une conférence avec pour thème : La reconnaissance du shiatsu: espoirs, freins et stratégies. Sujet sur lequel il a beaucoup à dire. Juriste belge de formation, Olivier a travaillé pendant 20 ans dans des fonctions de management dans le secteur des soins de santé, notamment en cabinet ministériel et en mutualité. Depuis 10 ans, il est praticien en shiatsu (école Kajudo à Louvain-La-Neuve), à temps plein depuis 2017 dans la région de Mons.

Il y a 3 ans seulement, je me revois avec mes collègues de la Fédération Belge de
Shiatsu à tenter de convaincre le gouvernement belge de laisser les praticiens en
shiatsu continuer à travailler malgré la pandémie de covid 19. À ce moment-là
encore, personne ne connaît le shiatsu. Tout au plus le ministre belge des petites et
moyennes entreprises évoque vaguement l’idée d’une gymnastique orientale.
Pourtant, depuis son introduction en Europe dans la seconde moitié du XXème
siècle, le shiatsu a connu une belle évolution.
La reconnaissance du shiatsu dans le monde
Au niveau mondial, les pratiques non conventionnelles constituent un pan important
et souvent sous-estimé des soins de santé. Elles existent dans quasiment tous les
pays du monde, et la demande de services dans ce domaine est en progression
constante.
Selon la Fédération mondiale des sociétés de médecine chinoise (WFCMS), la
médecine chinoise s’est implantée dans plus de 100 pays. Il existe environ 100.000
cliniques de médecine chinoise, environ 300.000 praticiens de médecine chinoise et
pas moins de 1.000 instituts de formation à la médecine chinoise dans le monde.
Dans quelques pays, certains types de pratiques sont entièrement intégrés dans le
système de soins de santé. En Chine, par exemple, la médecine traditionnelle
chinoise et la médecine conventionnelle coexistent à tous les niveaux, et l’assurance
maladie publique et privée couvre les deux.
Dans les pays dits industrialisés en Europe et sur le continent nord-américain, les
pratiques non conventionnelles progressent également, en faveur d’une approche
davantage intégrative des soins de santé, dans laquelle les approches
conventionnelles et non conventionnelles coexistent, voire se renforcent, en faveur
d’une politique de soins davantage centrée sur le patient dans son milieu de vie.
Cette évolution correspond également à la stratégie développée par l’OMS depuis le
début des années 2000 en faveur du développement de pratiques non
conventionnelles sûres, qualitatives et efficaces, au cœur même des soins
conventionnels*.
* Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023, OMS, 2013
Dr Margaret Chan, Directeur général de l’OMS de 2007 à 2017 : « Il ne faut pas
opposer la médecine traditionnelle et la médecine occidentale. Dans le contexte des
soins de santé primaires, les deux peuvent se compléter harmonieusement et il
convient d’utiliser les meilleures caractéristiques et de compenser les points faibles
de chacune. Mais cela ne va pas se faire automatiquement. Des décisions politiques
délibérées doivent être prises et il est possible de les prendre avec succès. »
La reconnaissance du shiatsu en Europe
Déjà avant l’an 2000, les autorités européennes proposent d’engager une procédure
de reconnaissance des médecines non conventionnelles et à mener des études au
sujet de leur efficacité/innocuité*.
*Voir les résolutions des 29 mai 1997 et du 11 juin 1999 du Parlement européen et du 2
Conseil de l’Europe. A noter que le Conseil de l’Europe encourage les facultés à former les
médecins allopathes aux pratiques alternatives en prévoyant des cycles d’enseignement
adéquats dans les facultés. Il encourage également les états membres à développer les
pratiques non conventionnelles dans les hôpitaux.
Les textes citent le shiatsu explicitement parmi les pratiques non conventionnelles, à
côté de la chiropraxie, l’homéopathie, la médecine anthroposophique, la médecine
traditionnelle chinoise (en ce compris l’acupuncture), la naturopathie, l’ostéopathie et
la phytothérapie.
Certains pays européens ont joué les précurseurs, notamment la Suisse et l’Autriche,
qui reconnaissent plusieurs pratiques non conventionnelles depuis plusieurs
décennies et les intègrent de manière plus ou moins importante dans leur système
de santé, y compris au niveau du remboursement public.
Il reste, néanmoins, que la plupart des pays européens, dont la Belgique et la
France, sont proportionnellement moins impliqués que le reste du monde dans
l’intégration des médecines complémentaires. De nombreuses raisons expliquent
cette faible implication - historiques, philosophiques, économiques... - dont l’exposé
dépasse le cadre de cet article.
Il n’en demeure pas moins que les systèmes de santé, singulièrement ceux des pays
industrialisés, sont déjà confrontés aux mêmes défis : comment assurer au plus
grand nombre un accès suffisant (à un coût acceptable) à des soins de santé
généralistes (première ligne) et spécialistes (seconde et troisième ligne) dans un
environnement en crise (financière et écologique) exerçant sur le système une
pression comportant une multiplication et une aggravation majeure de risques
connus et à venir : raréfaction des moyens financiers, vieillissement de la population
(et chronicisation des soins), vieillissement du personnel de santé (et donc pénuries
compte tenu du manque de renouvellement du personnel de soin et accroissement
des déserts médicaux), augmentation des coûts liés aux technologies (médicaments,
biotechnologies, industrie...), effondrements attendus des systèmes les moins
résilients (c’est-à-dire notamment des processus les plus dépendants des énergies
fossiles), etc.
Dans un tel contexte, la médecine intégrative représente une opportunité plus qu’un
risque: quelle que soit la frilosité des pays européens à avancer sur le chemin de la
reconnaissance, les clients, eux, ne s’y trompent pas. Les enjeux précités poussent
les clients à se tourner, parfois « en désespoir de cause », vers des solutions
alternatives parce que le système conventionnel ne remplit plus certaines de ses
missions de base. Le recours au shiatsu répond ainsi également à une réalité
économique, comme le montre l’intégration du shiatsu dans la toute nouvelle
mouture de la classification européenne NACE*.
*Version Rev2.1. Le shiatsu n’est pas cité en tant que tel dans les codes, mais bien dans 3
les commentaires du code 86.99 « Other human health activities ». Au sein de cette
catégorie, le shiatsu est cité sous le même tiret que le « thai massage, watsu et tuina
qigong ».
La citation, en toutes lettres, du shiatsu dans cette classification est le signe d’une progession statistique du recours au shiatsu dans la population, que les autorités économiques européennes et nationales ne peuvent plus ignorer.
Il y a reconnaissance et... reconnaissance
Est-ce à dire que nos pays sont murs pour intégrer le shiatsu au sein de nos
systèmes de soins? Rien n’est moins sûr. Pour certains, le shiatsu relève d’un abus de pouvoir et doit être relégué dans un statut de pratique sectaire.
Pour d’autres, comme pour certains représentants syndicaux dans le milieu médical
conventionnel, le shiatsu doit être traité comme un facteur de risque. Comme tous
les facteurs de risque, le shiatsu doit être contrôlé: titres et qualifications,
enregistrement, accès à la profession, obligation de renvoi sur prescription,
remboursement conditionnel, obligation de vaccination et j’en passe.
D’autres encore - et j’en suis - rêvent d’un système de soins où les prestataires
travaillent sur un mode collaboratif en valorisant les atouts que présente chaque
discipline au plus grand bénéfice d’un client acteur de sa santé.
Beaucoup, parmi nos confrères, se suffisent de la reconnaissance de leur client.
Celle de ce client soulagé d’un stress qui l’empêchait de dormir. Celle de ce client
envoyé par sa femme et qui choisit ensuite de revenir lui-même. Celle de Pierre,
Paul ou Jacques, ces nombreux « merci » sincères et reconnaissants.
Nous pouvons aussi penser à la reconnaissance que nous nous donnons à nous-
même. N’est-ce pas la première et l’ultime forme de reconnaissance ? Celle qui
libère de toute illusion de trouver chez notre receveur les signes de reconnaissance
dont nous avons peut-être manqué dans notre histoire personnelle. Lorsque nous
reconnaissons en nous la lumière qui nous habite, point n’est besoin de jouer en
dehors de nous les rôles épuisants du triangle de Karpman.
En fait, ces réalité co-existent. C’est parce qu’elles coexistent que la représentation
professionnelle (au sein de nos fédérations) garde tout son sens: celui d’expliquer ce
qu’est le shiatsu, montrer pourquoi les références de la culture de l’evidence based
medecine ne collent pas bien avec celle de Masunaga. Il faut aussi rassurer les gens
qui seront toujours trop réfractaires pour expérimenter notre art par eux-mêmes.
Et reconnaissons-le, écarter aussi les quelques praticiens incompétents qui portent
préjudice à tous les autres. Pour ces raisons-là entre autres, nous devons sortir de nos murs.
Entre une reconnaissance du shiatsu comme une pratique de soin de santé, fût-ce-t-
elle non conventionnelle, et la reconnaissance que nous nous donnons à nous-
même, il existe des voies intermédiaires, dont il faut à chaque fois évaluer les
bénéfices et les risques. Pensons notamment aux réglementations d’accès au
marché ou aux partenariats public/ privé pour le lancement de labels de qualité.
La voie de la certification
Sur pression d’une Europe toujours plus libérale, les Etats membres abandonnent
progressivement les réglementations qui jusque-là conditionnaient l’accès au marché
à l’obtention d’un diplôme. Ainsi, dorénavant, en Belgique, n’importe qui peut
s’installer restaurateur ou boucher (pour autant qu’il respecte les normes de sécurité
de la chaîne alimentaire). Les autorités partent du phantasme que le marché fera le
tri entre les commerçants qui fournissent des produits de qualité ou qui disposent
des compétences de gestion nécessaires... et les autres. « C’est le marché qui
décide qui reste et qui sort. »
Dans un tel cadre, comment un secteur peut-il garantir que les produits et services
qu’il propose sont de qualité? Comment aider le client à faire le tri ? Depuis des années, les labels qualité se multiplient dans tous les secteurs, depuis les produits bio aux agences de voyage.
Une description approfondie d’un modèle de certification pour le secteur du shiatsu
sort du cadre de cet article. Convenons a minima que les objectifs d’une telle
certification pour notre secteur pourraient être les suivants :
• Donner au client la garantie qu’en s’adressant à un praticien/ école de
formation/ formateur certifié, il s’adresse à un professionnel de qualité,
respectant un cahier des charges ;
• Favoriser le développement de la qualité au sein de la profession : en fixant
des normes pour l’obtention de la certification, nous encourageons tous les
professionnels à atteindre le niveau de qualité associé à chaque niveau de
certification. Les compétences de chaque professionnel sont valorisées et
obtiennent plus de visibilité ;
• Améliorer l’attractivité des professionnels certifiés : l’obtention de la
certification représente un argument « commercial » dont chaque
professionnel peut se prévaloir pour attirer chez lui davantage de clients.
Comme indiqué, la certification implique la rédaction d’un cahier des charges. Une
fois le cahier des charges finalisé, l’octroi de la certification serait matérialisé par
l’attribution d’un label, dont la forme est elle aussi à construire.
Actuellement, la simple « marque Fédération » ne convainc pas parce qu’elle n’est
pas très connue du grand public. À l’opposé, le label à construire « certifié shiatsu de
qualité » devrait être rendu visible notamment grâce au soutien de l’autorité publique.
La certification proposée représente, pour tous les praticiens, les écoles et les
formateurs, une opportunité supplémentaire de montrer au grand public qu’ils sont
des professionnels sérieux, à qui la société peut faire confiance. Il s’agit aussi d’une
occasion de rendre notre art encore plus visible. Pour nous, professionnels, c’est
aussi l’occasion de nous poser quelques questions utiles sur notre pratique, nos
engagements et nos compétences.
La Fédération Belge de Shiatsu est l’unique fédération représentative des praticiens en
shiatsu en Belgique. Elle compte 250 praticiens et 19 écoles de formation.
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