Shiatsu et méditation
- Bernard Bouheret
- 20 mai
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours
À une époque où certains rejettent toute spiritualité dans le Shiatsu et d'autres l'emmènent vers des dimensions multidimensionnelles, Bernard Bouheret propose une perspective équilibrée, fruit de plus de 40 ans de pratique du Shiatsu et de la méditation. Il nous invite à explorer la place de la spiritualité dans le Shiatsu, en nous asseyant en quiétude pour méditer sur cet aspect essentiel.
« Donne plus que tu ne peux reprendre.
Et oublie.
Telle est la voie sacrée »
René char

SOMMAIRE
Doit-on mêler Shiatsu et Spiritualité ?
Est-ce encore d’actualité ? Est-ce intéressant pour un soignant ?
Mais comment accède-t-on à ces espaces intérieurs et pourquoi le faire ?
Quel est le rapport entre le soin et la méditation ?
Mais en quoi cela nous interpelle-t-il, nous, Shiatsushi ?
Prendre l'autre en soi
La pression qui émane du cœur
Vous trouverez dans cet article certaines idées que j'avais déjà couchées sur le papier il y a 10 ans. Il m’a semblé important de les reprendre et de les affiner pour les rendre à nouveau accessibles à ce jour. J’espère que ces réflexions trouveront place dans votre pratique et que ce texte vous donnera le goût de l’assise en quiétude.
A l’heure où certains voudraient nier toute part de spiritualité dans la pratique du Shiatsu et ou d'autres voudraient le voir partir dans des sphères complètement hallucinantes, multidimensionnelles, il m'est venu l'idée qu'il était peut-être temps de remettre les choses en place et de partager l'expérience qui est la mienne depuis plus de 40 ans de pratique tout autant du shiatsu que de méditation.
Peut-être y a-t-il un juste milieu qui mérite que l’on s’y arrête, de se poser, de s’assoir en quiétude pour méditer - c’est le cas de le dire - sur cet aspect. La question mérite d’être posée et elle pourrait s’énoncer ainsi :
Doit-on mêler Shiatsu et Spiritualité ?
Par rapport à ce qui vient d’être dit un grand doute survint soudain dans mon esprit : Avais-je le droit et la légitimité pour transmettre les notions qui étaient chères à mon cœur et au travers desquelles j’exerçais déjà depuis de nombreuses années ?
Un grand silence se fît en moi, je me suis assis, l’esprit de la méditation est venu comme à son habitude et j’ai vu se décanter les choses.
Une voix intérieure parla : « Retourne aux sources de cette médecine et tu verras bien que tout y est clair. » disait-elle.
La source fut le Su Wen, bible des acuponcteurs, et ses 11 premiers chapitres où Qi Bo répond aux questions de Huang Ti, l’empereur Jaune et que je voudrais bien commenter avec vous.
Dans le chapitre 1 du livre 1 nommé « De la pureté naturelle dans la haute antiquité » Huang Di questionne Qi Bo et celui-ci répond :
« Obéissant au Dao les anciens se modelaient sur le Yin/Yang …
Ils étaient modérés dans leur alimentation, ils évitaient le surmenage, se gardaient de détériorer leur corps et leur esprit se permettant de vivre un siècle.
Les gens d’à présent n’agissent plus de même, ils se gavent d’alcool sont téméraires et luxurieux…
Les sages de la haute antiquité apprenaient à chacun à éviter à temps les perversions d’épuisement et à maintenir par le calme et la concentration leur souffle naturel dans la docilité, à bien contenir leur esprit à l’intérieur de telle sorte que les maladies soient sans prise.
Grâce à la restriction des appétits et la « contention des velléités, le cœur demeure paisible et sans émoi, le corps travaille sans s’épuiser, le souffle suit un cours régulier et chacun d’eux est satisfait… »
Au Chapitre 3 il est dit « La paix du cœur, confirmant la sérénité du temps entretient la fermeté du Yang et rend inoffensives les perversions externes, si pirates soient-elles. Selon le calendrier, les Sages soumettent leur propre souffle vital au souffle céleste et le mettent ainsi en continuité avec les Esprits. »
Comment cultiver cette paix du cœur qui prévient même les attaques climatiques ? Comment soumettre son souffle vital au Souffle du Ciel ?
Comment entrer en continuité avec les Esprits ?
Est-ce encore d’actualité ? Est-ce intéressant pour un soignant ?
Là commence le travail intérieur et la méditation prend ici tout son sens.
En effet, un praticien, aussi savant et efficace soit-il, ne peut ignorer ce travail du dedans où il puise sa force, son calme et sa présence, où tout semble être soudain absorbé par la profondeur de l’intérieur.
Les adages du Qi Gong résonnent soudain : « On entend sans écouter, on voit sans regarder, on accomplit sans agir, on sent sans toucher… »
Si c’est toujours de la médecine, c’est plus encore de l’art médical, un art de vivre ancestral, l’art de nourrir la vie (Yang Sheng Gong) !
Mais comment accède-t-on à ces espaces intérieurs et pourquoi le faire ?
Quel est le rapport entre le soin et la méditation ?
Devons-nous répondre à la manière facétieuse de Woody Allen : « Il ne fait aucun doute qu’il existe un monde invisible. Cependant, il est permis de se demander à quelle distance il se trouve du centre-ville et jusqu’à quelle heure il est ouvert » ?
Personne ne sait comment est née la science des méridiens (invisibles) d’acuponcture, mais une chose est sûre c’est que les points et les trajets n’ont pas été découverts de manière empirique, le système est bien trop complexe pour cela. Certains pensent, et je suis de ceux-là, que tout a été vu de l’intérieur par les Maîtres de la haute antiquité et ce depuis des temps immémoriaux.
Et cela est déjà consigné dans le fameux Su Wen.
Il en est de même en Inde avec les 72 000 nadis !! Ida à gauche, Pingala à droite qui en fournissent 36 000 chacun et le vaisseau central Sushumna qui ressemble tant au vaisseau conception (Ren Mai) de la médecine chinoise.
Les maîtres des Upanishad sont appelés les Rishis, les Voyants, ceux qui avaient l’accès à la clairvoyance et à la conscience pure.
« Tat Twam Asi » : tu es Cela ! Pas ce corps de chair et de sang mais ce corps de souffle ne subissant pas les outrages du temps. Tout ce qui est soumis au temps ne peut être réel !
Corps de plume du Qi Gong, corps subtil des Tibétains, corps arc-en-ciel des Aborigènes, corps de gloire des chrétiens. Main de souffle du Shiatsu.
Habiter ce corps, c’est penser l’univers !
Voilà pourquoi le Su Wen parle de l’antiquité comme d’un temps béni où les Sages étaient les rois du monde. Ce monde n’est pas un monde lointain dans le temps mais profond en chacun de nous et donc à une certaine distance de la mondanité de toutes les époques. Il y a toujours eu le mondain, tourné vers le dehors et le sage, tourné vers le dedans.
Il y a autre chose qu’il est important de mentionner et que tous les sages ont aussi mis en lumière, c’est que tout homme a une nature Inférieure (Terre) et une nature Supérieure (Ciel), et que le but de la vie c’est que cette nature Supérieure attire à elle la nature Inférieure. Dans la pratique du Shiatsu on se rend vite compte que quand l’accès à ce plan élevé n’est pas ouvert il manque une chose essentielle : la joie ! La joie comme de la paix en mouvement !
Nous, praticiens, nous devons cultiver cette joie car, in fine, les patients (et non les clients) viennent frapper à notre porte avant tout pour rencontrer cette joie qui leur fera peut-être recouvrer la santé. Même face à une intense douleur, le praticien reste au contact de cette joie profonde qui est le territoire du calme intérieur cultivé lors de l’assise du matin. Face à la maladie, à la souffrance, à certains drames de la vie quotidienne, la seule manière de rester stable est bien de rester alignés dans cet espace du cœur. J’ai souvent nommé cela « Stable posture, main sûre, cœur pur ».
Quand le Su Wen dit « Chacun est malade à sa manière de cela le médecin doit toujours tenir compte » l’idéogramme peut se lire aussi comme le sage (le sage médecin car il est un homme de réflexion et d’intériorité)*.
Quand Héraclite, au 5ème siècle av JC, décline le très fameux « On ne traverse jamais deux fois le même fleuve » il saisit l’impermanence des choses, il a son esprit tourné vers l’intérieur et les Taoïstes ont nommé cela « Le renversement du regard ».
Fermer les yeux à l’extérieur, ouvrir les yeux à l’intérieur, voir avec les oreilles car elles n’ont pas de paupières !
Dans tous les exercices de Dao Yin, de Qi Gong, d’assise, il est recommandé ce renversement existentiel sans lequel la discipline est vouée à la seule superficialité et n’amenant aucune transformation profonde et pérenne.
Mais en quoi cela nous interpelle-t-il, nous, Shiatsushi ?
Tourner le regard vers l’intérieur et s’assoir en quiétude ouvre des espaces dans le corps puis dans la conscience et c’est dans ce même espace que le patient sera accueilli, entendu, compris. La profondeur manifeste que l’on crée dans l’assise entre soi (intérieur) et le monde (extérieur) va immédiatement être un espace d’accueil et de compassion pour le receveur en souffrance ou en demande de mieux être, d’équilibre, de sérénité.
C’est aussi simple que d’ouvrir une fenêtre et de voir et sentir l’air extérieur s’engouffrer dans la pièce et l’emplir tout à fait.
Et là, un nouvel univers est perceptible que l’on peut nommer « Guérir en soi. »
*Note : La racine latine medicus signifie médecin. À l’origine, la racine indo-européenne med- exprime l’idée de mesure et d’ordre. On la retrouve dans des mots comme méditer, modéré, module. Le médecin est donc un homme mesuré et sage, tradition que l’on retrouve dans le serment d’Hippocrate. Les anciens chinois ne s’y sont pas trompés non plus. Médecine et méditation ont donc bien la même racine.
Prendre l'autre en soi
Prendre l’autre en soi afin qu’il ne devienne plus cet autre coupé de moi, mais qu’il forme avec moi un tout indivisible et ceci n’est possible qu’au travers du corps de souffle (corps de Qi) éveillé par la méditation assise, le Qi Gong, vu comme une méditation en mouvement.
Masunaga Sensei le nomme très bien en précisant que là est la sève du Shiatsu, son essence véritable et que nous n’avons pas besoin de maître dans la pratique, notre patient est notre seul maître.
Béni est celui qui a pu sentir cela ! Masunaga est un seigneur du Shiatsu !
Namikoshi Sensei a parlé le premier de l’amour de la Mère, en précisant que le cœur du Shiatsu est comme le cœur de la Mère et que les pressions sur le corps font jaillir la Vie !
Okuyama Sensei de l’école Hakko (8ème lumière), notre vénérable soke (maître fondateur), a fondé l’école de la 8ème lumière, martiale et médicale, nous demandant d’œuvrer avec la force invisible de la radiation de l’ultraviolet, celle qui est au-delà du spectre de l’arc-en-ciel avec ses 7 radiances. Au-delà du violet c’est l’ultraviolet, radiation invisible mais si puissante.
Le vieux Taoïste zhuang Zi est limpide :
« Soi-même est aussi l’autre
L’autre est aussi soi-même
Que l’autre et soi-même cessent de s’opposer
Voilà le pivot du Tao »
Et si nous, praticiens, nous devenions Taoïstes à la manière à laquelle nous y invite Zhuang Zi ? Tout deviendrait alors différent, ce n’est plus soigner qui nous importerait mais rencontrer cet autre qui ne serait plus autre, et que nous sentirions en nous.
Comme le dit le moine Zen Thich Nhât Hanh on devrait inventer le verbe inter-être car nous inter-sommes en permanence. « Nul n’est une île » a dit le mystique Thomas Merton.
C’est une illusion née de l’identification au seul corps physique.
Les espaces découverts dans la méditation du matin sont de facto disponible à cette rencontre d’être à être. Voilà le « I Shin den Shin » du Zen Japonais.
De mon cœur à ton cœur j’ai effacé la distance illusoire de deux corps séparés. Seul le corps de souffle le permet !
Étonnamment, dans les années 80 alors que j’étais jeune praticien, dans mon cabinet de Montpellier, je percevais cette rencontre magique et j’en étais stupéfié car j’étais trop jeune pour en saisir tout le coté sacré.
Je sentais l’autre en moi-même et s’éveillait alors dans mon jeune corps de praticien une clairvoyance thérapeutique qui, sans que je le sache, deviendrait plus tard un atout majeur de diagnostic. L’autre se dessinait en moi et c’est en regardant au-dedans de moi que je percevais cet autre qui n’en était plus un. Je n’avais pas suffisamment de bouteille pour en mesurer la portée mais c’était déjà le germe de la non-séparation, et je n’ai eu de cesse que de cheminer sur cette voie et de l’approfondir.
Méditer, c’est aller au centre de soi-même, c’est ouvrir la porte de ce mystère. C’est aussi se dénuder, accepter et comprendre que fragilité n’est pas faiblesse.
D’une manière très prosaïque on pourrait dire aussi que l’espace conquis par la paix et le silence est de facto disponible dans le soin et c’est dans ce lieu ouvert au dedans que ce sera entendue et recueillie la plainte du patient.
On entend alors avec les oreillettes… ! Et entendre devient comprendre.
La pression qui émane du coeur
On peut affirmer de la même manière que chaque pression qui émane du cœur du ventre (Hara) quand elle est bien dispensée est aussi en relation avec ce calme profond cultivé pendant la méditation. La qualité du soin s’en ressent et ça ne trompe pas. La paix parle à la paix car comme le dit Sri Nisagardatta Maharaj « Seuls méritent la paix, ceux qui ne la troublent pas ».
Toute maladie, tout désordre est vu comme un dérangement de la paix profonde ; c’est bien comme cela que les anciens ont perçu les choses et nous répéterons la phrase mentionnée plus haut : « Les sages de la haute antiquité apprenaient à chacun à éviter à temps les perversions d’épuisement et à maintenir par le calme et la concentration leur souffle naturel dans la docilité, à bien contenir leur esprit à l’intérieur de telle sorte que les maladies soient sans prise ».
Le message est clair : alors quand on prodigue des conseils et des recommandations à nos patients affaiblis n’oublions-pas de leur recommander quelques minutes d’assise en quiétude le matin ... et aussi le soir si affinité… !
Comme le disait le Mahatma Gandhi : « C’est la clé du matin et le verrou du soir ».
Vous voulez échapper à la maladie ? Ne vous échappez pas de vous-même !
Une fois tout cela admis, installez-vous bien confortablement et ouvrez la tête au Ciel et sentez bien la Terre sous vos pieds, reliez-vous à votre souffle qui va et qui vient en essayant de ne pas le contrarier, ce qui n’est déjà pas une mince affaire.
Toutes les sensibilités sont les bienvenues dans la maison de la méditation : Zen, Chan, Tibétains, Advaita Vedanta indien, Shivaïte du Cachemire, prières psalmodiées… A vous de trouver votre sensibilité en accord avec l’enseignement, yeux ouverts, yeux fermés, yeux entrouverts, murmurer des mantras ou faire rouler les doigts sur un mala… Tout est prétexte à donner un focus au mental afin qu’il lâche prise dans son emprise.
Puis, ceci effectué, faire disparaitre le sens notre individualité afin que nous devenions des personnes qui ne soient plus personne. Là, le futur thérapeute va y gagner grandement en présence.
Si vous voulez être un meilleur thérapeute il faut aussi savoir poser les livres et « apprendre par corps » car « ce qu’on ne comprend pas dans notre corps on ne le comprendra nulle part ailleurs » disent les Upanishads.
La méditation cherche Satva, l’état d’équilibre entre torpeur et agitation, entre Tama et Raja comme on le dit en Inde. Une autre manière de parler du Yin/Yang n’est-ce pas ? Une fois Satva installé, une présence calme, stable et bienveillante s’installe en nous et c’est avec cette même présence que nous allons nous pencher sur notre receveur dans le soin.
La bienveillance effacera le sens de la séparation et deviendra de facto compassion.
La clairvoyance irradiera comme le reflet de la lune dans un lac immobile et quel que soit le problème à régler et le symptôme à traiter tout sera plus facile.
Alors méditons. Pour soi, pour l’autre, pour un bon soin profond, pour un cœur léger, pour un mental apaisé, pour un corps ressourcé, pour toutes les émotions fluidifiées…
La Voie Taoïste clairement énoncée par les vieux sages est celle-ci :
« Il faut gagner le Ciel sans abandonner la Terre. »
Voilà ce que je tente de faire, à genoux par terre, dans mon Shiatsu quotidien.
Et puis si tout va bien j’entendrai se murmurer en moi cette douce mélodie qui berce mes mains :
« Quand mon cœur est en paix, c’est la paix dans le monde entier. »
« Triple est le rythme de la Vie :
Prendre, donner, s’oublier…
Telle est la voie sacrée ! »
Bernard Bouheret
Gratitude, Bernard, pour ton enseignement sur ce que c'est l'Ame de Shiatsu. Sans la spiritualité, point de Shiatsu, point de mille formes d'existence. L'univers est une mer de conscience infinie, dont chacun de nous porte en nous. Si nous, les praticiens, arrivent à aider les patients à découvrir leur corps de souffle, on aura fait quelque chose !!!
I am. Je suis. 我在.
Qian. Je me soumets au Chemin.
Merci Bernard, pour cet article profondément éclairant .Ta manière de relier le Shiatsu à la spiritualité, en t'appuyant sur les textes anciens et ton expérience intime me permet de me repositionner dans ma pratique, apprise avec toi il y a plus de 10 ans . J’ai été particulièrement touchée par le lien que tu fais entre le mot "médecin" et "médecine" – une racine commune que j’ignorais, et qui donne une nouvelle résonance à notre soin et à notre méditation.
Ce rappel que l’on devient un meilleur praticien lorsque l’on fait une place réelle en soi pour accueillir l’autre, dans toute sa globalité, me parle profondément. Il ne s'agit pas seulement de gestes ou de techniques, mais d'une qualité de…