Nous poursuivons notre exploration de l'énergétique avec Jean Smith, qui sera présent à l'Université d'été de shiatsu 2024 au Domaine de Lembrun. Il partagera son expertise sur l'« alignement », à la fois sur le plan physique et énergétique. Cette connaissance découle de sa pratique du karaté (7ᵉ dan) mais également de ses nombreuses années de pratique du shiatsu. L'alignement revêt une grande importance dans notre pratique, car il nous permet d'appliquer des techniques puissantes sans utiliser de force excessive, ni de se fatiguer.
Jean Smith
Tout ce qui suit est une proposition et est le résultat d’une somme d’entraînements et de rencontres avec différents maîtres de karaté do et de kobudo. L’énergétique est avant tout une aventure subjective où il est nécessaire de trouver et de se frayer son propre chemin. J’ai donc essayé de mettre en mots un ensemble de sensations et de les classer à ma manière. C’est un chemin qui est à la rencontre de la Médecine traditionnelle chinoise, du tai chi chuan et des arts martiaux okinawaïens. D’ailleurs Shu Shi Wa, l’inspirateur du Uechi ryu était à la fois expert reconnu d’arts martiaux, moine taoïste et médecin chinois.
SOMMAIRE :
LE POSITIONNEMENT
1 l’enracinement
Le seul point d’acupuncture placé sous le pied s’appelle Yong quan, ce qui veut dire « fontaine jaillissante ». C’est un point qui permet de capter l’énergie du sol qui sera ensuite captée et stockée par le rein. Pour ce faire, il faut que le pied soit bien positionné sur le sol et que le poids du corps soit également réparti sur les talons, tranchants internes et externes et les orteils. L’extérieur des pieds doivent être parallèles. Les chevilles et les genoux doivent être détendus et les cuisses doivent être en rotation interne légère, ce qui va aider le sacrum à se placer. Cette posture doit amener la sensation d’un arc de force à l’intérieur des cuisses et de la voûte plantaire. Le sacrum lui doit s’appuyer et s’ouvrir sur l’arrière, ce qui procure une sensation de fermeture et de renforcement au niveau du tanden inférieur à trois doigts sous le nombril. Cette posture globale doit amener une sensation d’aspiration au niveau des deux points yong quan du rein.
Pour l’anecdote, La dernière fois que j’ai été à Okinawa, mon sanchin a été contrôlé par le Maître Haruyoshi Shimabukuro (9ème dan Uechi ryu). Pour ce faire, celui-çi a placé sa main en appui sur mon sacrum tout en poussant vers l’avant. Lorsque je lui ai demandé la raison de ce contrôle, il m’a répondu : « c’est pour vérifier si ta position est bien verrouillée ». Ces règles énergétiques sont appliquées par les maîtres okinawaïens de manière pragmatique et souvent sans explications.
Ces règles s’appliquent à toutes les positions (du moins en karaté do) que ce soient un neko ashi, un zenkutsu ou un sanchin…
2 le centre de la poitrine
Losque le sacrum est appuyé de manière naturelle (cela peut rappeler une main qui soutient doucement mais fermement un bébé par les fesses quand on le porte contre soi), les reins seront forts si l’on garde la courbure naturelle des lombaires en poussant les reins vers le haut, on pourra pousser doucement la 5ème vertèbre vers l’avant, ce qui aura pour effet de mobiliser et d’ouvrir le centre de la poitrine. Ce tan tien sert entre autres, à relier les deux bras. Ainsi, si je mobilise mon bras gauche, c’est que j’ai d’abord pris appui sur mon bras droit. Ce d’abord n’est pas chronologique mais plutôt la condition sine qua non du mouvement. Quand la pratique est installée, appui et exécution du mouvement se font, bien sûr, de manière simultanée. Cela permettra d’utiliser les deux bras d’une manière complémentaire et de réunir en un temps d’action ce qui est souvent décomposé en deux temps.
Le Mouvement
1 Différence entre transfert de poids et pression
Lorsque le corps est correctement placé, la sensation de contact avec le sol est amplifiée et vient une sensation de pression dans les jambes. Cette sensation est primordiale et est le début d’une dynamique qui lors d’un déplacement va transformer ce que l’on appelle un transfert de poids en un phénomène de rebond qui donnera plus de rapidité et de puissance au mouvement. Le Qi pour circuler a besoin que les articulations soient ouvertes et le corps décontracté. Vient alors le remplissage à la manière d’un tuyau d’arrosage et la pression augmente dans tout le corps. Le moteur du mouvement est en place et le mouvement peut s’initier à travers ces différences de pressions que le système musculaire suivra.
2 Yin et yang et mobilité des jambes
Les positions de karaté telles qu’on les connait n’existaient pas au départ de l’enseignement de cet art. On pourrait comparer ces positions à des clichés immobilisant des moments précis ou l’expression de la force atteint un point culminant. Pourtant en énergétique, on ne peut isoler ce moment de la continuité de l’ensemble, il serait plutôt comme le sommet d’une vague qui retombe avant de repartir… Maître Matayoshi me disait que ces positions avaient été inventées pour les occidentaux qui ont besoin de fixer et d’immobiliser les choses pour les nommer. L’esprit occidental est souvent construit dès les premiers moments de l’apprentissage à travers une lecture cristallisée et fixe du monde et non pas dans le vécu du mouvement de celle-ci.
Ainsi, en combat, on doit garder une mobilité continuelle au niveau des jambes, c’est ce que symbolisent si bien les deux petits ronds en bas et en haut du Tao. Cette mobilité est donnée par le rebond de l’appui au sol, ce qui fait passer la force d’une jambe à l’autre et permet des actions plus rapides car non basées par des transferts de poids guidés par la force musculaire.
3 la toile d’araignée
En énergétique, tout le corps est relié et participe au mouvement. À la manière d’une araignée qui construit sa toile, nous devons déjà placer notre verticalité, ce qui placera notre horizontalité. Ensuite, tout mouvement effectué le sera avec une idée de complémentarité. Ainsi, mon poignet bougera avec ma cheville et mon coude avec mon genou, et cela, de manière simultanée. La conscience qui s’est éveillée avec l’entraînement doit être présente dans chaque partie du corps.
Lorsque la pression dont je parlais plus haut peut remplir le corps, celle-ci peut-être projeté sur l’espace extérieur et principalement vers l’avant. Ainsi, les mouvements du partenaire amèneront une différence de qualité de pression dans l’espace qui nous entoure. À ce moment-là, nous ne travaillons plus contre l’autre, mais avec lui. Par conséquent, le partenaire peut être le moteur de notre propre mouvement si nous le faisons rentrer dans notre propre toile. Ainsi, le moindre mouvement qu’il effectuera sera répercuté tel le vent sur la toile d’araignée.
La notion de timing est très liée aux vides et aux pleins créés dans l’inter espace qui relie les deux partenaires. Ce qui implique d’être avec le partenaire et non pas contre lui.
4 Les points d’acupuncture
Comme nous l’avons vu précédemment, l’énergétique est régie par des lois précises et parcourt des trajets bien précis appelés méridiens. Sur ces méridiens se trouvent des points qui sont l’interface qui permet d’agir de manière ajustée sur nos organes. Certains de ces points sont des centres énergétiques importants car réunissant plusieurs fonctions simultanément. Ainsi, le centre de la poitrine réunit les fonctions de Maître de l’énergie, Maître du foyer supérieur et point Mu agissant sur le Maître du cœur, c’est-à-dire sur notre capacité à entrer en relation avec le monde et à s’adapter de manière ajustée à ce qui nous entoure. Il est donc d’une importance capitale dans l’ajustement de notre position et la conscience que nous avons du monde.
Toutes les articulations comportent des points d’importance relative. Par exemple le poignet a six points : trois sur le dessus sont de qualité yang et trois dessous sont de qualité yin. Quand nous stimulons de manière simultanée ces six points, nous apaisons notre état de stress… Ce que nous faisons de manière naturelle en nous massant les poignets de manière circulaire avec la main opposée. En karaté, il existe une technique que l’on appelle koken uke (blocage avec le dos du poignet) et une autre que l’on appelle teisho uke (blocage avec la base de la paume). Dans beaucoup de katas, ces deux techniques sont utilisées simultanément, créant un effet de pompe sur ces mêmes points.
Il va de soi que la mobilisation correcte de ces points passe par la douceur et non la dureté. Les mouvements doivent donc être exécutés de manière souple avec un minimum de contraction musculaire.
5 La force vient de la douceur (abandon de la force musculaire)
Pour que le Qi circule, il ne faut pas qu’il y ait d’entraves. La contraction musculaire est une entrave ainsi que l’état d’esprit auquel elle est liée. Au début, il est difficile de lâcher cette force, mais cela est nécessaire, car à la manière d’un récipient, on ne peut remplir quelque chose qui est plein. C’est souvent l’autre qui nous signale la présence et la force là où nous avons l’impression que tout se fait tout seul. En réalité, c'est comme si nous devions laisser faire et que le qi agissait en nous par lui-même, de manière non conduite et obéissant aux lois fondamentales de la double polarité Yin / Yang. En shiatsu, par exemple, il est essentiel que les pressions exercées sur les points d’acupuncture soient non musculaires afin de mettre en mouvement de manière ajustée les points et les fonctions qui leur sont liées.
Quand cette circulation libre est mise en place, il devient possible d’utiliser l’autre comme support de l’action. Son mouvement devenant le moteur du nôtre. Une action trop musculaire présente beaucoup de points d’appui pour l’adversaire et des césures dans un rythme d’action qui devient trop binaire.
Conclusion
Les arts martiaux sont une voie de réalisation où la progression peut être continuelle toute la vie. La première étape est biomécanique et nécessite un ajustement continuel du geste. La deuxième est énergétique et vient avec un lâcher prise, notamment au niveau de la force. La troisième se voudrait entièrement libre et spontanée. Il est important de se tourner vers nos racines pour construire le futur. La créativité est partie intrinsèque de l’art martial et nous devons nous approprier au mieux notre pratique.
« L’élève ne doit pas rester dans l’ombre du professeur mais celui-çi doit mettre en lumière son élève et l’aider à s’épanouir et à exprimer sa vraie nature » (Kinjo Senseï)
« Le karaté est un outil qui doit aider l’Homme à s’intégrer et à vivre bien dans la société ». (Matayoshi Senseï)
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