Dans cette interview, Jean Smith, expert en shiatsu et arts martiaux, partage son parcours riche en expériences et en enseignements. À travers son témoignage, il explique comment les arts martiaux ont influencé sa pratique du shiatsu et sa démarche pédagogique. Il revient également sur ses projets, notamment le développement de la formation en shiatsu à Madagascar, un pays auquel il est profondément attaché. Cet échange offre un éclairage précieux sur les liens entre les disciplines énergétiques, la transmission des savoirs et le shiatsu

Bonjour Jean, dans ta présentation d’expérience tu positionnes ta démarche de shiatsushi en fonction de ta connaissance des arts martiaux. Peux-tu nous expliquer pourquoi, comment ?
En fait c’est beaucoup un chemin de vie. Je suis parti à l’âge de dix ans à Madagascar avec ma famille. Et puis, ma mère a décidé que nous devions rentrer en France pendant un certain temps. Mon père a accepté, mais moi je ne le voulais pas. J’ai dû rentrer en France pendant deux ans. J’ai très mal vécu l’affaire et j’ai commencé les arts martiaux par manque de père. Je recherchais un père, celui-ci n’étant pas assez présent.
Par ailleurs on a un chemin de vie et, quand je me retourne pour regarder en arrière, je me dis : je suis comme cela. Je suis quelqu’un qui a beaucoup bougé, qui ne peut s’empêcher de bouger, qui voyage beaucoup. J’ai vécu par exemple au Japon. Et quand je voyage, j’ai besoin de rentrer en contact profondément avec le pays. Cela c’est ma vie et je l’analyse aujourd’hui. Il y a 30 ans, je ne t’aurais pas dit ça.
Tu as 60 ans et tu envisages de changer de vie…
Oui je les aurai au mois de février. Mon départ à Madagascar se joue après le décès de mon père puis celui de ma mère. La vie n’est pas si longue et il faut faire ce que l’on a envie de faire tout de suite. Je suis au bout d’un cycle en France au niveau de mon enseignement en shiatsu ; au niveau des arts martiaux, je suis à une place où j’ai formé suffisamment d’élèves qui enseignent depuis un certain temps aussi et où il y a une structure.
Je suis Kioshi 7ème Dan dans trois disciplines : Seido Juku, Karaté et Kobudo au Japon, pour pratique pour laquelle je suis responsable Europe. En karaté je suis expert fédéral, il y en a deux en France. Les arts martiaux ont toujours été ma vie depuis l’âge de14 ans. Reparti à 16 ans à Madagascar, j’ai continué de pratiquer. J’ai un lien avec ce pays depuis toujours. Je me suis toujours dit que j’allais y retourner. Et maintenant que mes enfants sont grands, mes parents décédés, j’y repars. Ma place est là-bas. Tout se passe très bien, les enseignements sont très demandés. Il n’y a jamais eu d’école de shiatsu, même s’il y a eu des intervenants comme Bernard. Mais cela a été ponctuel. Il y a tout à faire, c’est un terrain vierge. Tu arrives, tu dois tout construire. Il y a des écueils, des problèmes. Mais j’y suis à l’aise car j’y ai vécu enfant. Je sais parler aux gens. Je parle un peu malgache. Il faut que je m’y remette et que je maîtrise la langue. Mais, étant passé au Japon, je les comprends car il y a une grande part orientale chez eux. C’est une île où il y a 18 ethnies différentes, et nous, les Français, sommes la 19ème. Les Français sont à part. Il y a des arabes , des indiens…
Un peu comme à la Réunion ?
Oui mais en plus vaste et plus marqué en identité. Il y a vraiment une unité nationale. Par ailleurs, j’ai toujours enseigné très rapidement. J’enseigne pour apprendre. Car quand tu enseignes, tu structures ce que tu fais. Tu es obligé de le verbaliser. Cela repasse par le cœur. C’est un mécanisme qui approfondit ta pratique. J’adore enseigner, cela permet d’aller plus loin. Et puis il y a le renvoi des élèves qui t’oriente. Ma vie c’est l’enseignement.
Si tu me demandes pourquoi je suis ici : je ne peux m’empêcher d’enseigner. Être praticien, pour être honnête, je me sens maintenant beaucoup moins dans l’envie de sauver les autres.
Par contre, la pédagogie me passionne et pour moi faire un soin, c’est être pédagogique. C’est-à-dire trouver pour la personne une manière de changer dans sa vie quelque chose qui «déraille». En fait, il faut stimuler chez le patient son sens de la responsabilité. Autonomie et responsabilité.
Et surtout, si le patient apporte trop d’énergie mauvaise, comme disent mes élèves, nous n’avons rien à prendre, cela lui appartient. Par contre, on aide les choses à venir à la surface, à les voir, à les considérer autrement. Surtout, il y a des mécanismes de vie qui sont pathologiques. Et à ce moment-là, le regard du thérapeute vient éclairer d’une autre manière la vie du patient, et il peut y avoir une prise de conscience.
J’ai eu une fois une patiente qui venait me voir et me disait « je vomis avant de partir au boulot tellement cela m’angoisse ». Alors je lui répondais « changes de boulot ». « Ce n’est pas possible » …Mais il y a parfois presque une question de vie ou de mort. Elle est revenue six ans plus tard pour me dire « j’aurais dû t’écouter car j’ai attrapé un cancer entretemps, et maintenant je sais dire non ». Mais il a fallu qu’elle passe par là. En fait, c’est cette image de proposer au patient, je vais exagérer « quittes ton mari, ton boulot… » car ce n’est pas bon, c’est toxique pour toi. On a donc ce rôle pédagogique d’apporter une lumière différente : le Shen, c’est-à-dire dans la rencontre des deux personnes il y a un autre espace qui s’instaure : un éclairage nouveau est apporté sur la personne.
Cela s’apparente au rôle de psy ?
Non c’est trop réducteur, c’est corporel principalement. L’énergétique est la réunion entre l’esprit et le corps. Chez nous, l’esprit n’existe que par le corps. J’entends : la conscience n’existe que dans le corps. C’est-à-dire tu vois avec tes yeux, tu entends avec tes oreilles, mais la conscience du monde c’est le corps. Et bien sûr l’esprit. Les Ben Shen c’est un être au monde. Le psy est réducteur car il s’adresse à la psyché alors que là on s’adresse à l’être. Si tu adoptes un langage énergétique tu prends la globalité d’un être.
En occident, nous sommes handicapés par notre vision, qui nous empêche de percevoir les choses. Les orientaux ont un truc magnifique avec le triple réchauffeur, les Ben Shen, mais la vie est là. Et quand tu prends quelqu’un, tu le prends en globalité dans son environnement parmi les arbres etc.
Comment as-tu fait le lien entre la Chine et le Japon, entre la MTC vue par les Chinois et par les Japonais ?
A 24 ans j’ai décidé de partir au Japon pour les arts martiaux. Il a fallu 10 ans pour que je découvre que j’avais des problématiques ; j’ai fait alors un chemin en psycho-somatothérapie, donné des soins et dispensé de la formation. Mais il me manquait quelque chose. Un ami qui enseignait le shiatsu et pratiquait le karaté m’a formé. Un an après j’ai rencontré Jean-Marc Eyssalet et c’est la rencontre que j’attendais. Il apportait tout, il avait la puissance, la connaissance, la spiritualité. Je ne me suis posé aucune question, je l’ai suivi.
J’avais une grande demande. C’était un personnage hors du commun : un grand maître, un être accompli, qui avait une profondeur spirituelle énorme. Avec lui, la MTC prenait immédiatement une autre dimension : globale, universelle et très relationnelle.
Que fais-tu des gens qui n’arrivent pas à vivre avec les autres ?
Ils ne sont jamais tout seuls. Ils ont tout un tas de choses autour d’eux. Qu’ils refusent l’humain c’est un choix. Mais on ne peut vivre sans relation, sans la nature autour de soi. Nous sommes des êtres non finis énergétiquement, qui respirons, qui mangeons, mais nous ne pouvons vivre par nous-mêmes et de nous-mêmes ; nous sommes dépendants, en relation avec la nourriture, la respiration, l’affect. L’énergie acquise ce n’est pas seulement la respiration et la nourriture absorbée mais aussi la nourriture affective. C’est primordial. Un enfant nouveau-né qui est nourri mais qui ne reçoit pas d’affect va mourir. Si tu ne lui donnes pas de nourriture mais de l’affect il va survivre. Une expérience a été faite avec des petits singes qui a permis de confirmer cet état de fait.
Crois-tu que l’on se dirige vers le shiatsu car on a une problématique à résoudre ?
Souvent et aussi car on a envie d’aider. Je ne peux généraliser mais en grande partie il y a à prendre conscience, surtout si on veut aider les autres, de notre motivation première. Pour certains c’est le pouvoir, pour les autres le fait de se sentir exister à travers le malheur des autres…et de se dire « je suis moins malheureux qu’eux ».
Plein de raisons sont possibles qui ne sont pas toujours très nobles. Il faut savoir que l’on a tous cela en nous. Et que l’on peut aimer que l’on dise de nous : vous êtes grands, beaux et forts. Je vais mieux avec vous.
Les arts martiaux t’ont-ils structuré ?
C’est certain. Et ce n’est pas un chemin facile. Je suis revenu un peu déboussolé du Japon que je rêvais. Les praticiens là-bas ne sont pas des ascètes en haut d’une montagne. Les arts martiaux requièrent une exigence. Le karaté est dur dans la forme, dans le combat. La sanction est immédiate. Avec les armes cela peut être dangereux et cela te ramène tout de suite à ta présence.
Les arts martiaux amènent à une structure de fond, à ton enracinement, à une vigilance ouverte. Une conscience de ce qu’il y a autour de toi, derrière, devant, sur les côtés… Cela nécessite aussi un effort, une discipline.
Quelle est la logique avec le shiatsu ?
On fonctionne sur les mêmes mécanismes sauf que l’un est d’apprendre à se défendre et mettre quelqu’un hors d’état de nuire, et que l’autre c’est comment le guérir. Le fondamental est le même mais le karaté c’est de l’amour. Quand je me place en face de quelqu’un, je le considère et l’espace-temps change pour moi. Tout ce qu’il va faire va m’agir moi. Au lieu d’être en réaction contre lui je suis « open » avec lui. Et donc c’est comme en shiatsu : c’est très lié au Ben Shen et à la manière dont tu vas ouvrir ton énergétique. La moindre intention qui vient de l’autre te fait bouger car cela met une pression dans ce champ énergétique. Il faut avoir une empathie naturelle pour l’autre. Et quand il va bouger, c’est agréable.
L’ouverture à l’autre va permettre de s’élever et dans le cadre d’un conflit, d’arriver à dominer, en étant posé, tranquille. L’art martial ne va plus être dans la confrontation mais dans l’ouverture. C’est l’art d’arrêter l’avance et non de combattre. Ou comment, dans ton attitude, le conflit ne vient même pas. C’est là que cela rejoint le shiatsu car à un moment donné tu es en lien avec l’autre.
Comment te projettes-tu dans les mois, les années à venir ?
Je prépare mon départ et mes retours pour organiser des stages. J’enseignerai ici et là-bas, pays que j’aime profondément à travers ses habitants ; quand tu y enseignes, tu as des retours formidables, des gens qui font des efforts terribles pour arriver à tes cours. Nous ne sommes pas dans le même investissement qu’ici. Six jours de route parfois, et mille kilomètres dans des conditions difficiles. Et l’élève est reconnaissant que tu sois là ! Tu ne peux que donner, vu ce qui est investi en face. Et à ce type de population, tu fais payer cinquante euros toute la formation. Alors je compenserai avec un milieu local plus favorisé. Et puis mon projet inclut ma préoccupation de faire venir les praticiens malgaches en France pour échanger ou donner des soins.
Un conseil à donner pour la voie de l’enseignement ?
On peut enseigner tôt mais on sait qu’on est débutant. L’important c’est de savoir où on est, sinon on s’y perd.
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